La fin
Elle oublia rapidement l’altercation qui venait de se produire, le monde l’aspirait à nouveau et pourtant celle ci la poursuivrait des années.
Elle oublia rapidement l’altercation qui venait de se produire, le monde l’aspirait à nouveau et pourtant celle ci la poursuivrait des années.
Elle marcha des heures, perdue entre beauté et peur, peur de tant de familiarité avec ce qui l’entourait. Chaque visage croisé la ramenait à sa propre histoire. Ou était la distance, la pudeur, l’inconnu… ? L’inconnu avait disparu, il n’y avait donc plus de secret… même à cette question -qui orchestrait ce monde ?- elle esquissait des ébauches de réponses, son cœur rythmait tout cela, ses yeux l’éclairait, son âme accueillait, croyait elle, elle ne savait plus.
Ce qui l’intrigua rapidement c’est qu’elle semblait être la seule à réellement profiter du spectacle, chacun vaquait, marchait, roulait, parlait sans prêter attention à l’autre à côté qui faisait de même. Parfois dans la foule elle en repérait un ou une qui avait le regard aussi émerveillé qu’elle mais c’était si rare.
Elle décida de retourner d’où elle venait, elle n’était pas conviée mais une pause s’imposait. De retour devant la fameuse porte elle s’arma de tout son courage, peut-être un peu trop et la poussa. Dans le vestibule, autour d’elle, rien, un portrait au sol, cette odeur singulière, de celle qu’on aime tout de suite et qu’on veut garder jalousement au fond de soi tout en la laissant à celui à qui elle appartient. A côté du tableau, un petit morceau de bois, simple. Dans la librairie Plume avait lu quelques lignes sur une tradition selon laquelle les déportés rescapés d’Auschwitz gardaient un morceau de bois gravé d’un papillon pour « ne pas oublier » comme ils disent. Cela la révolta, elle ne savait pas pourquoi elle ne voulait pas que lui, l’Homme, garde cette douleur-là, cette souillure-là, parfois il faut laisser les choses s’effacer.
Elle attrapa le bâton, traversa la salle d’attente pour rejoindre les toilettes et laver à l’eau claire l’objet du crime. A grands eaux elle le nettoya, le frotta… l’homme arriva derrière son épaule un peu éberlué, lui pris violement des mains le bois trempé.
Troublée Plume réclama sa guitare, elle savait très bien qu’elle ne l’avait pas oublié à sa dernière venue une semaine plus tôt mais l’Homme semblait tellement peu disposé qu’elle n’osa pas lui demandé quel était ce monde qui l’attendait dehors, pourquoi avait-il si brusquement changé ? Etait-ce cela devenir adulte ? L’Homme l’écouta d’une oreille en la dirigeant vers la sortie, elle n’avait pas rendez-vous, rien à faire là, pas de guitare, sortir… la colère du monde monta en elle, elle ne pouvait pas y retourner sans s’être apaisé, sans un peu de la bienveillance d’un être vraiment familier.
Plume refusa de sortir, il agrippa ses mains ou elle agrippa les siennes, peu importe, c’était à qui serait le plus coriace maintenant. La lutte dura quelques secondes et l’Homme lui fit de gros yeux, comme pour la gronder… elle vit l’immensité de ce à quoi elle « s’attaquer », un vertige la prit instantanément, elle lâcha son étreinte, déclara forfait, elle n’était pas la bienvenue dans cette immensité, elle se retrouva sur le trottoir, porte close. Une larme coula sur sa joue, elle n’était pas triste, simplement quelque chose s’était détaché d’elle, quelque chose était partie, quoi ? Elle ne le su jamais…
Elle repartit à l’assaut du monde…
Etait-il bien là ? La mélodie, elle, sonnait naturellement sous ses doigts soudainement assurés et agiles.
Cette bienveillante luminosité semblait avoir atteint Plume, un nouveau sentiment marquait son âme et s’insinuait en elle à mesure qu’elle gambadait sur le clavier… la conscience que sa Vie avait sa place ici, entre cordes et notes, entre émotions et sons, entre ressenti et impalpable. Elle en oubliait presque la présence inédite derrière elle.
Chamboulée, elle marqua une pause, posa ses mains à hauteur de cuisses, esprit grand ouvert, elle s’attendait à entendre l’ami Léo lui souffler quelques mots ou peut-être même une mélodie. Quelques secondes passèrent, elle tourna le dos au piano, il était parti mais dans un coin du magasin, dans un recoin ou elle était à peine visible, son regard eut attrait d’une guitare qui ne lui fit pas oublier la présence de Ferré un instant plus tôt, mais qui au contraire logea cet instant en elle qu’elle espérait pouvoir retrouver à l’avenir…
Elle se leva, tout cette mascarade devenait un incroyable jeu de piste ludique et excitant…
Il était bon d’être ici, les murs tapissé des photos de Brassens, Ferré, des Beatles, de Jim Morrison ou Janis Joplin, tous ces instruments qui ne demandaient qu’à s’amuser les uns avec les autres, lui procurait un indescriptible sentiment de sécurité, de Paix, de force.
Quelques personnes scrutaient les guitares oubliant peut être qu’eux même n’étaient que l’instrument de ce qu’ils regardaient avec insistance.
« Débranche tout » disait France Gall, ne branchons que nos cœurs, ne branchons que nos âmes, le reste se fera naturellement !
Elle se faufila jusqu’au piano. Avaient-ils quelques douleurs ou joies à partager tous les deux, elle posa ses mains. Elle eut bien entendu mais comment répondre, comment retranscrire… elle tenta quelques notes quant par-dessus de son épaule une chaleur grimpait, elle jeta quelques coup d’œil. Rien. Rien que cette chaleur bienveillante.
Plume enchaina quelques notes, puis quelques accords, elle transforma son incompréhension en son, qu’importe la justesse, elle ne savait plus rien à cet instant. La chaleur devint lumineuse, elle tourna une dernière fois les yeux et elle trouva là, juste derrière elle, se tenant à sa droite auprès d’un piano majestueux qu’elle n’avait pas même remarqué, elle trouva l’ami Léo. Dans une émotion presque impétueuse elle plaqua des accords de colère résonnant dans toute la petite boutique, il était toujours là…
Elle trouva une porte fermée, une porte qu’il suffisait de pousser, une de ses lourdes portes qu’il faut pousser avec mérite, elle hésita, tenta même d’entrée puis elle se dit qu’elle pouvait peut être aller s’amuser, que peut être elle pourrait trouver ses réponses, le pourquoi de ces pourquoi, le sens à tout cela, le son de tout cela, ailleurs… dans le jeu, dans la Vie peut-être.
Elle passa devant une enseigne de luthier… elle sentit comme un vent incroyable la parcourir, il y avait là des violons, des guitares, des contre basses et au fond il lui sembla apercevoir un piano, « un piano qui a du temps en lui » se dit-elle tellement il semblait abimé !
Il se mit à pleuvoir, elle entra.
La valse était lancée et ce qu’elle avait perçu dans cette librairie ne lui donnait pas forcément envie d’emboiter le pas à la Danse et peut être même son rôle était d’être spectateur.
Quelques pensées commençaient déjà à apparaitre, qu’elle chassait d’un regard au ciel, elle avait besoin de s’élever pour mieux garder ce trésor… devait elle le garder d’ailleurs ce trésor ? Était-ce cela la folie ? La folie serait peut-être de participer.
Qui pourrait l’éclairer à ce sujet ?
Lui venait alors en tête cette citation, « je pense donc je suis » et elle se demandait en riant, n’était-ce pas le verbe suivre dont il était question ici !
Elle décida d’aller trouver une lumière à tout cela chez un ami à deux pas d’ici.
A mesure que ses sens, son cœur et son âme s’éveillaient, elle balaya des yeux le magasin, elle comprit qu’il s’agissait simplement de laisser son Être s’exprimer, exprimer ses envies, le laisser agir simplement.
Elle caressa du bout des doigts les premiers livres sur l’étalage devant elle, la plante suspendue, comme agrippée au mur, même les panneaux publicitaires appelaient à être touché ! Toucher était comme apprivoiser, apprivoiser comme comprendre et comprendre comme aimer. Sous ses mains, la plante, le livre et le panneau lui avait dit des choses que les mots ne peuvent comprendre…
Elle ouvrit un livre au titre aguicheur « Apprendre à finir ». Une page au hasard, une ligne au hasard, elle lu cette ligne, referma l’ouvrage, l’ouvrit à nouveau, nouvelle page, autre ligne… elle répéta cela plusieurs fois et picora quelques phrases par ci par là, elle le reposa, elle en avait compris l’idée, le message, la trame, le principal en somme. Elle fit de même avec quelques autres.
La libraire sortit de l’arrière-boutique, lui lança un jovial « Bonjour » accompagné d’un joli sourire !
Plume resta perplexe ! Devant elle une petite femme, cheveux courts, yeux noirs, charnue et charmante. Devant elle une femme à l’allure totalement opposée à celle de sa sœur et pourtant elle ne voyait là que sa sœur, elle se sentait tout aussi proche, tout aussi familière , elle ressentait la même gentillesse, recevait la même douceur… Plume voulait lui rendre son « bonjour » mais comment ? A qui parlait-elle ? Son esprit se brouilla… était-ce sa sœur ? Ou bien l’esprit de sa sœur aurait-il pris possession de ce corps ? Elle commença à se poser des questions dont elle ne percevait pas le côté ubuesque mais qui l’effrayait totalement.
Ce qui lui semblait grand, beau et limpide quelques instants plus tôt lui semblait tout à coup irréel, l’irréel c’est ne pas comprendre et ne pas comprendre peut affoler ou aveugler, elle sortit hâtivement de la librairie…
En elle il n’y avait rien de plus, rien de moins… il y avait rien que tout ça, rien que cette voiture, cet oiseau, ce chat, ce parking. Elle fouillait, cherchait, elle s’obligeait à… mais il n’y avait rien, pas la moindre souffrance, pas le moindre souvenir douloureux, pas une blessure à chatouiller ou même le reste d’un pansement qu’elle aurait pu gratter.
Qui se reflétait en l’autre ? Le superficiel, l’extérieur, la surface remplissait son Être, son âme d’une beauté candide ou… était-ce l’inverse, était-ce son Être qui se libérait et s’épanchait sur le Monde ? Son regard offrait, éclat et harmonie même à ce qu’on lui avait présenté comme laid, insignifiant et parfois même inutile… « Inutile », elle rit, ce mot lui parut soudain abscons !
Elle fit quelques mètres, ses pensées s’envolaient à mesure qu’elle avançait, le silence s’installait et lui permettait d’apprécier pleinement le spectacle de l’Univers, d’épouser même cette Danse en se laissant porter dans la première ruelle par le klaxon d’une voiture, puis un rire qui l’appelait, suivi du tintement de la clochette d’un magasin… elle n’avait nul part ou aller ou au contraire elle était là où elle devait être, là où la Danse la menait, l’amenait…
Elle s’engouffra dans une librairie…
Le monde, l’univers semblait s’ouvrir à cet instant. Le voile tombait ou s’envolait, peu importe…
Un ruisseau passait dans son regard, un ruisseau venant de loin, de tout là-bas, tout en bas, de là ou on ne met jamais vraiment les pieds, le ruisseau passait et continuait son chemin, créant un pont, un lien entre ce tout en bas et ce tout en haut.
Elle ouvrait les yeux… Le monde, l’univers semblait s’ouvrir à cet instant.
C’était un parking, un simple parking et pourtant toute la beauté du monde et d’ailleurs semblait être venu se loger là, ici, entre ses voitures illuminées de soleil, portée par un vent chantant dans la cime des arbres, scellée dans ces blocs de béton, la beauté, la grâce, la volupté était là, partout, sous ses yeux.
Une voiture longea le parking, elle l’a suivi du regard, un passant traversa la rue, un oiseau le survola, une vieille femme derrière elle ferma sa fenêtre en maugréant sur son chat, le chat sauta sur le capot de la voiture qui venait de se garer et qui quelque secondes plus tôt longeait le parking… Quelle musique !!! Quel rythme ! Tout est donc réellement parfait, tout est donc bien à sa place !
Elle était subjuguée… la deuxième chose qui la frappait après cette beauté jusqu’ici insoupçonnable, c’était ce rythme en tout, l’Univers dansait ! Tout était réglé comme du papier à musique, mais d’où venait la musique ? Qui était le chef d’orchestre ? Qui orchestrait cette chorégraphie incroyable ? Elle ne se posa ses questions que bien plus tard, pour le moment elle était simplement là, pour le moment elle était simplement en amour, pour le moment la Vie, la Beauté, le Monde chantaient et dansaient pour elle, pour le moment elle était juste assise là, elle était assise là où elle ne s’était jamais assise, dans l’Univers.
Elle tourna alors son regard en elle… Papa Bues Viking Jazzband – What A Wonderfull World (